Minority Report ou les mises à jour d’Adobe

Ça doit faire des années que je râle sur la politique de mise à jour de la suite Adobe Creative Cloud. Je n’ai pas été le dernier à les accuser de jouer le jeu de l’obsolescence programmée, même si c’était peut-être à tort… jusqu’à aujourd’hui. Peut-être aviez-vous reçu le mémo – ce n’était pas mon cas – annonçant qu’Adobe rendait la nouvelle mise à jour de Premiere, After Effects ou Media Encoder incompatible avec toutes une série de processeurs jugés trop anciens. Votre ordinateur est trop vieux ? Dommage, si vous souhaitez continuer à l’utiliser pour vos projets professionnels (ou persos), il va falloir en acheter un nouveau !

Les versions 24.0 de nos applications vidéo nécessiteront des processeurs prenant en charge Advanced Vector Extensions 2 (AVX2).

Annoncé le 30 août 2023, puis repris notamment dans la page détaillant la configuration minimale pour Premiere Pro ce mois d’octobre, Adobe indique qu’il n’est pas possible d’installer les versions 24.0 sur les processeurs Intel 3ᵉ génération ou plus anciens (ni sur les processeurs AMD plus anciens). Sur Mac, malheureusement, cela inclut les Mac Pro de 2013 et plus anciens. Des ordinateurs qui fêtent certes leurs dix ans cette année, mais bien souvent des monstres de puissance à l’époque de leur mise en service. Des ordinateurs qui arrivent encore aujourd’hui sans mal à faire du montage vidéo en HD, voire en 4K pour peu qu’ils aient été mis à niveau matériellement parlant.

Un SSD, un ajout de mémoire vive, une nouvelle carte graphique… L’avantage de ces ordinateurs était qu’ils étaient complètement modulables, contrairement aux nouveaux Mac Pro sortis cette année. A priori, même leur processeur est interchangeable. Cette dernière opération demande par contre des connaissances bien plus poussées, ce qui la réservera aux utilisateurs les plus avertis. Sans cette manipulation, les processeurs sont jugés obsolètes car ne prenant pas en charge l’AVX2. D’après la page wikipédia, ce jeu d’instruction permet notamment de faire du calcul intensif, chose particulièrement intéressante pour un logiciel de montage qui doit effectuer du rendu toute la journée.

Pourquoi l’AVX2 devient soudainement essentiel ? Aucune idée. Peut-être qu’Adobe s’est dit que c’était le bon moment, le nombre de ceux qui utilisent encore des ordinateurs de cette génération s’étant largement réduit ces dernières années. Cette minorité d’utilisateurs se retrouve aujourd’hui dans l’impossibilité de mettre à jour leur suite Adobe, pour laquelle ils paient encore mensuellement. Des utilisateurs qu’Adobe abandonne d’ailleurs dans le plus grand silence : à l’heure qu’il est, je n’ai pas vu un seul média, généraliste ou spécialisé, reprendre l’information.

Pourquoi continuer à utiliser la suite Adobe ?

On peut critiquer Adobe et son modèle de souscription mensuelle, mais si on n’y trouve pas son compte, pourquoi ne pas le quitter ? Lorsqu’on parle strictement de vidéo, Premiere fait par exemple face à une compétition très solide avec DaVinci Resolve ou Final Cut Pro X, pour ne citer qu’eux.

J’utilise déjà DaVinci Resolve quotidiennement et l’outil, en plus de proposer une version totalement gratuite, s’améliore à chaque mise à jour et rivalise sans rougir face aux logiciels d’Adobe. Malheureusement, je ne peux pas utiliser ce logiciel pour tous mes projets, les différents clients ou agences avec lesquels je collabore étant majoritairement équipés de la suite Adobe. Il faut que je puisse recevoir ou envoyer des projets et qu’ils soient facilement lus des deux côtés. A l’instar de Photoshop pour le graphisme, Adobe Premiere et After Effects sont aujourd’hui quasi incontournables dans le monde professionnel et à moins de travailler tout seul dans son coin, il est illusoire de s’en passer totalement.

Ceci étant, la dernière version compatible avec mon Mac Pro, la 23.x, est toujours parfaitement utilisable. Pourquoi ne pas continuer à m’en servir pendant quelques années, jusqu’à ce que le besoin de changer d’ordinateur se fasse vraiment sentir ? C’est là que j’accuse Adobe d’obsolescence programmée : un projet créé avec la nouvelle version de Premiere sera incompatible avec les versions antérieures du logiciel. Si un client m’envoie un projet créé avec Premiere 24.0, je serai incapable de l’ouvrir avec ma version 23.x.

Je rencontrais déjà ce problème par le passé quand ma version de Mac OS était trop ancienne, Adobe n’acceptant la mise à jour de ses logiciels que sur les deux dernières versions du système d’exploitation d’Apple. Par soucis de sécurité ? Peut-être. Toujours est-il que les utilisateurs de Windows ne rencontraient pas ce problème. Mon Mac étant jugé « obsolète » par Apple (c’est un autre problème…), j’avais dû ruser en installant un version plus récente de Mac OS par des moyens détournés. Aujourd’hui, cette astuce logicielle ne suffira plus.

Par la force des choses, Adobe va donc me forcer cette année à faire l’achat d’un nouveau Mac. Je serai sans doute très satisfait des performances de mon nouvel achat. Mais rien à faire, je déteste qu’on me force la main.

Adobe et le train de l’IA

À côté de ça, Adobe a récemment choisi de mettre un terme à son offre d’hébergement de 100 Go comprise jusqu’ici dans l’abonnement : « à partir du 1ᵉʳ février 2024, Adobe commencera à arrêter la prise en charge des fichiers synchronisés Creative Cloud ». Adobe préconise d’utiliser une autre solution de stockage prise en charge, comme Frame.io ou Adobe Experience Manager, ou encore opter pour une solution de stockage cloud tierce dotée de fonctionnalités de synchronisation. Forcément, c’est beaucoup moins pratique pour ceux qui utilisaient le dossier comme une Dropbox, mais peut-être n’était-ce encore une fois qu’une minorité des utilisateurs.

Bien sûr, ça n’a rien à voir avec le point que j’évoque au-dessus, mais c’est toujours rageant de voir un service dégradé lorsqu’on en avait un usage régulier. Certains diront que ce qu’on perd d’un côté, on le gagne de l’autre : Adobe a largement fait évoluer son offre récemment en ajoutant des outils utilisant l’IA, directement intégrés à Premiere (la transcription automatique par exemple), à Photoshop, ou indépendamment (Firefly).

S’ils se révèlent très utiles, je ne peux m’empêcher de me demander si ces outils n’utilisent pas des ressources qui justifient l’incompatibilité avec les processeurs trop anciens. L’IA a également un coût non-négligeable, qui expliquerait qu’Adobe chercherait à économiser d’un côté (l’offre Cloud) pour mettre ses moyens sur un nouveau cheval de bataille.

Bref, je m’interroge : vais-je devoir acheter un nouvel ordinateur cette année, juste à cause de l’IA ? Adobe cherche en tous cas certainement à consolider sa position en développant ces nouvelles technologies. Pour quel avenir ? Si demain, les utilisateurs sont encore plus dépendants des outils proposés par Adobe, il sera d’autant plus difficile de travailler avec d’autres outils dans le monde professionnel. C’est le serpent qui se mord la queue.

De mon côté, je compte continuer à utiliser DaVinci Resolve autant que possible et à le promouvoir : donnez-lui sa chance, il est vraiment efficace en plus d’être disponible pour une bouchée de pain. Je ne pourrais pas m’affranchir d’un achat coûteux en cette fin d’année, mais j’aurais au moins la satisfaction d’avoir réussi à utiliser mon matériel pendant plus de dix ans. Une belle performance dans un milieu aussi exigeant que la vidéo. J’espère que ce mon prochain Mac fera aussi bien. Rendez-vous en 2033 pour le verdict !

Minority Report (2002) on IMDb

Réalisateur et consultant en production vidéo depuis 2007.
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